Un petit coup d’œil dans les coulisses des cinéastes trans et issu·e·s de la diversité de genre avec Breton Lalama.

Nous nous sommes entretenu·e·s avec le cofondateur de Spindle Films, Breton Lalama! Breton (il) est un écrivain, performeur et cinéaste dédié à enrichir et diversifier la représentation queer et trans dans les histoires qui sont partagées. Gagnant d’un prix Broadway World Award, ses œuvres lui ont aussi valu des nominations pour un Merritt Award et un Dora Award. Son travail a été publié et projeté à l’international.

 « On voit si peu de joie minoritaire. Et encore là, si tout ce qu’on voit ce sont des histoires difficiles, comment pouvons-nous rêver à mieux pour nous-même? Les histoires qu’on consomme sont si puissantes. »

Comment t’es-tu taillé une place dans l’industrie du cinéma?

Enfant, je fabriquais toujours quelque chose; mes parents avaient une vieille caméra, parce que parait-il que je suis vieux maintenant. Mes parents avaient une caméra VHS. Je la prenais tout le temps. C’était l’objet le plus dispendieux de ma famille et je le volais tout le temps. À part la voiture, évidemment. Je prenais la caméra, je me baladais et je faisais des films. J’ai toujours aimé faire ça.

Ado, le théâtre m’intéressait beaucoup. J’étais dans une troupe au secondaire. Et puis, j’ai commencé le théâtre communautaire dans la ville la plus près de la ferme où j’ai grandi. Aléatoirement, un agent de Toronto a assisté à l’une de nos représentations et m’a pris sous son aile.

Donc quand j’avais 16 ans, je passais des auditions pour des films et des émissions de télé. Je n’ai pas eu de travail jusqu’à ce que je sois adulte, mais voilà comment j’ai intégré le milieu.

Peux-tu nous expliquer comment tu en es arrivé à t’impliquer dans la fondation Spindle Films et dans leurs efforts de promouvoir le talent trans et non binaire?

La Fondation Spindle Films a été créée à partir de Spindle Films, que J Stevens a fondé.C’est sa compagnie de production. J et moi avons collaboré sur le scénario et la production d’un film qui a été projeté au TIFF cette année, et ce film a vraiment été le point de départ.

J et moi nous connaissions de nom à cause du milieu. Nous ne nous étions jamais rencontré·e·s, mais nous nous suivions mutuellement sur Instagram. Un jour, je faisais du vélo pour me rendre au travail et j’ai passé par une partie de la ville où je ne vais jamais, et J y était aussi. Nous nous sommes arrêté·e·s à une lumière rouge, il était neuf heures du matin. Je l’ai vu·e et je me suis demandé, est-ce que c’est J? J m’a regardé. Iel m’a demandé si j’étais Breton et nous avons parlé pendant peut-être 45 secondes et c’était tout. Ce jour-là, ça faisait un an que j’étais sur la testostérone et je suis allé sur Instagram pour faire quelque chose que je ne ferait plus aujourd’hui : j’ai publié une centaine de vidéos en invitant les gens à me poser leurs questions sur mon parcours, plus particulièrement en ce qui a trait au chant, parce que j’avais de la difficulté de côté-là… Le chant est une partie importante de ma pratique de performance et j’éprouvais de la difficulté avec ma voix. J a regardé toutes mes vidéos et m’a envoyé un message sur Instagram, disant, « Hey, c’est peut-être une idée folle, mais aimerais-tu écrire un long-métrage dans lequel tu jouerais avec moi? » Je me souviens de répondre, à voix haute, OUI. Donc nous avons créé ce film dans l’année qui a suivi. 

En se penchant là-dessus, et c’est tout à l’honneur de J parce qu’iel a réalisé le film et cultivé un environnement où nous travaillions fort et consciencieusement pour nous assurer que le plateau de tournage était composé de personnes trans pendant toute la durée du tournage, parce que c’était une histoire très trans. Nous étions vraiment nourri·e·s par les conversations que les personnes trans avaient entre elles sur le plateau. Nous avons tous·tes nommé que nous étions fatigué·e·s d’être les seul·e·s, une expérience qui sera familière pour n’importe quelle minorité dans le contexte d’un plateau de tournage : c’est isolant et ça empêche de travailler au meilleur de nos capacités. J m’a parlé de cette compagnie de production de films appelée Hillman Grad aux États-Unis, qui offrait des programmes de mentorat à des jeunes cinéastes racisé·e·s pour les amener sur des plateaux de tournage. Et J m’a demandé : penses-tu qu’on pourrait faire quelque chose du genre pour les cinéastes trans?

Donc on a rédigé quelques demandes de subventions et on a bâti la fondation. On achève maintenant notre première année de programmation et on se prépare pour notre deuxième année. On accepte neuf mentoré·e·s issu·e·s de la diversité de genre qui vivent au Canada (qui n’ont pas à être Canadien·ne·s, mais qui vivent au Canada) et on lance le programme de mentorat avec une semaine intensive à Banff, où les mentoré·e·s peuvent passer du temps ensemble. On les présente à de nouvelles personnes, à leur mentor·e·s, qui sont des professionnel·le·s de l’industrie et elleux aussi issu·e·s de la diversité de genre, et iels participent à une tonne d’ateliers et de présentations d’invité·e·s, qui sont également des professionnel·le·s de l’industrie. Ensuite, pendant les six mois qui suivent, on les aide à travailler sur leurs projets et à bâtir des relations dans l’industrie.

Peux-tu nommer quelques obstacles que tu as rencontrés dans l’industrie du cinéma?

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« Dans le cadre de notre travail avec la fondation, nous distribuons un sondage annuel sur les expériences des professionnel·le·s issu·e·s de la diversité de genre dans l’industrie canadienne du cinéma et de la télévision. Plus de la moitié des répondant·e·s ont indiqué avoir retardé leur transition ou l’avoir dissimulée en raison d’oppression vécue à cet égard ou parce qu’iels perdaient du travail ou avaient peur de vivre de l’oppression d’une manière ou d’une autre. »

Quel rôle jouent les récits des personnes trans et issues de la diversité de genre dans le partage d’histoires, tant dans d’un point de vue historique général que dans ce film plus particulièrement?

Je pense qu’en tant qu’espèce humaine, nous ne sommes que les histoires que nous nous racontons. C’est la raison pour laquelle les médias sont si puissants. C’est un outil politique. Si les histoires ne reflètent pas qui on est, alors on n’arrive pas à croire qu’on est possible. Ça rapetisse notre univers.

Dans l’histoire, les minorités ont toujours raconté leurs histoires, mais le pouvoir de production demeure toujours entre des mains très blanches, cis et hétéro, n’est-ce pas?

Par le passé, les médias subversifs offraient aux minorités des manières de trouver une communauté et de se représenter. La circulation de ces films, qui racontaient ce genre d’histoires, ou encore la circulation de n’importe quelle production médiatique qui aborde ces histoires, était parfois illégale et souvent mal vue.

Cette réalité a forcé les gens à bâtir une communauté pour accéder à leurs histoires. Donc selon moi, les récits trans et queers ont aidé les membres de la communauté à se trouver et à créer des liens. Simultanément, surtout depuis l’ère d’Internet, depuis l’arrivée de l’univers en ligne, les médias queers ont offert à beaucoup de gens une première expérience de représentation. Donc en plus d’aider les membres d’une communauté à se trouver, les récits trans offrent aux gens une représentation qui est nécessaire.

Pourquoi est-ce que les mandats conçus pour promouvoir l’égalité des genres doivent-ils adopter une approche inclusive en matière de genre?

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« C’est une question d’accès égalitaire, sans rien enlever à personne : on veut nous aussi avoir une chance. Tout le monde mérite une chance dans cette industrie qui est déjà si tranchante. »

Pourquoi devons-nous nous assurer de créer des avenues pour les récits trans, non binaires et issus de la diversité de genre, en plus de leur ouvrir des portes pour des rôles dans les coulisses de la scène créative?

Je pense qu’on ne peut pas raconter des récits trans, queers, issus de la diversité de genre ou n’importe quel récit minoritaire à moins que l’équipe qui raconte l’histoire ne porte cette identité. C’est ce que je crois. Ou c’est possible de le faire sans ça, mais ce ne sera pas aussi bon, ou une aussi bonne expérience pour les acteur·rice·s, pour les corps qui racontent ces histoires. Et je pense que c’est important. Si on veut raconter ces histoires, racontons-les honnêtement et pleinement, pas seulement comme des histoires de sortie du placard. Racontons-les pour les personnes trans. Racontons-les pour les minorités, pas en guise d’explication pour les personnes cis ou blanches ou hétéros. C’est important parce qu’on a besoin d’être représenté·e·s dans les médias pour savoir qu’on existe. C’est comme regarder dans le miroir pour savoir qu’on existe. C’est vraiment important. Ça permet de se sentir un peu moins seul·e, ça donne l’impression qu’il existe davantage de possibilités. Plus les histoires qu’on voit sont diversifiées, plus nos rêves peuvent prendre de l’ampleur.

C’est aussi vrai pour les personnes cis et hétéros. Plus elles voient des personnes trans et queers vivre leur vie, pas seulement en tant qu’expression de leur identité queer ou trans de manière unidimensionnelle, mais en tant que personnes normales, alors leur subconscient enregistre que c’est normal qu’il y ait des personnes trans et queers dans le monde. Leur vision en est affectée et leurs esprits s’ouvrent un peu plus.

Donc je pense que c’est très important. Très important. Je veux susciter des émotions quand je crée quelque chose, mais je rêve de films qui ne soient pas abordés comme des échappatoires, mais plutôt comme une communauté, comme de la joie. Mais en ce moment, on a besoin d'échappatoires. Échappons-nous alors dans les possibles.

À quel genre de futur aspires-tu pour les personnes issues de la diversité de genre dans l’industrie du cinéma?

À quel genre de futur aspires-tu pour les personnes issues de la diversité de genre dans l’industrie du cinéma? J’aspire à des possibilités. J’imagine des possibilités sans limite.

Je veux qu’il y ait des personnes trans sur tous les plateaux, pas seulement sur ceux qui racontent des histoires queers et trans. Une meilleure diversification nous permet de mieux raconter n’importe quelle histoire, parce que sinon, l’histoire ne parlera qu'à une petite partie de la population. Il n’y a rien de mal là-dedans, mais je pense qu’on peut tellement enrichir un projet lorsque plusieurs visions et vécus expérientiels se rassemblent pour raconter l’histoire.

J’aspire à un monde où la présence d’une personne trans ou issue de la diversité de genre en tant que corps dans un écran ne nécessite pas d’explications. La présence suffit. Je pense que c’est l’objectif. Et cela tient aussi derrière la caméra : on est là. 

As-tu des conseils à partager aux jeunes personnes 2ELGBTQ+ qui ont envie de se lancer dans l’industrie du cinéma?

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« Je dirais : n’aies pas peur de jouer, d’essayer des trucs, de t’aventurer, d’explorer et de parler à des gens. Surtout si tu es issu·e d’une communauté minoritaire, n’aies pas peur de parler à des personnes issues d’autres groupes minoritaires qui travaillent dans l’industrie. Parce que ça nous apportera probablement beaucoup. Ça m’apporte certainement beaucoup quand j’ai la chance de parler à un·e jeune à qui je peux offrir ce dont j’aurais moi aussi eu besoin. »

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